par Jeanne Bonnemay et Justine Toqué
Dans la troisième édition de leur ouvrage La campagne électorale sur Internet - mémento juridique du candidat -, Kenneth Grand et Christian Dechesne tentent de déminer la communication électorale sur Internet à l’usage de tous les candidats.
Partant d’un double constat – d'une part « qu’Internet est devenu en l’espace de quelques années un média incontournable en politique » mais que, d'autre part, le droit régissant son utilisation demeure très éclaté et donc méconnu- ils se proposent de donner les moyens aux futurs candidats d’utiliser ce média lors de leurs campagne en toute sécurité juridique. Il ne s’agit donc nullement d’un plaidoyer en faveur d’ Internet mais bien d’un précis technique sur les droits et devoirs de tout candidat sur l’outil numérique.
Déjà, en janvier 2008, blog-territorial avait interviewé Christian Dechesne qui nous avait éclairé sur les pièges juridiques des blogs.
Aujourd'hui, nous nous retrouvons Kenneth Grand, le co-auteur du livre, pour comprendre les évolutions observées, en théorie et en pratique, depuis notre dernière rencontre.
Blog-territorial : Dans notre dernière interview, Christian Dechesne s'appuyait sur la jurisprudence un peu floue de 2002 pour expliquer notamment l'hébergement gratuit de blogs sur certaines plateforme. Est-ce que les choses se précisent depuis?
Kenneth Grand : Dans le domaine électoral depuis 20 ans, la jurisprudence évolue au fur et à mesure et s'adapte aux pratiques des candidats.
Sur cette question précise de l'hébergement gratuit des blogs, on a vu les choses se confirmer, c'est-à-dire que l'hébergement gratuit est admis dès lors que la possibilité est offerte à tous les candidats d'être hébergés gratuitement. Bien que l’hébergement soit offert en contrepartie de la publicité qui figure sur le site et qu’il s’agisse d’un financement par une personne morale, la jurisprudence de 2002 a été confirmée dès lors que tous les candidats profitent d’une égalité d’accès (Voir CE, 18 octobre 2002, Election municipale de Lons, n° 240 048). Malgré cela, mon conseil serait de ne pas faire l’économie d’un blog payant pour éviter le risque de revirement de jurisprudence ou de contestation électorale.
Blog-territorial : Comment cette publicité a t-elle finalement été gérée dans le décompte des comptes de campagne lors des élections municipales?
Kenneth Grand : Cette publicité sur les blogs est quand même beaucoup plus limitée que ce qu'on a vu dans certains journaux de la grande période des années 1980-1990, où on finançait tout le rédactionnel par les pages de publicité. Soyons clair, il faut distinguer l’hébergement gratuit d’un site financé par de la publicité et le fait de financer sa campagne par la recherche de sponsors publicitaires. Dans le premier cas, le candidat ne touche pas d’argent et n’a pas à le valoriser dans son compte de campagne. Dans le second, c’est formellement interdit.
Blog-territorial : Qu'est-ce qui a marqué les dernières élections municipales, cantonales et législatives en terme de jurisprudence Internet?
Kenneth Grand : Dans leur grande majorité, les candidats sont restés très prudents quant à l’utilisation de l’internet en période électorale. Aussi, il n’y pas eu de revirement ou de bouleversement jurisprudentiels.
Une précision toutefois, le procédé Skype (Voice Internet Protocol qui permet d’établir une communication téléphonique ou visiophonique entre ordinateurs distants) a été considéré comme régulier et n’a pas être assimilé à un numéro télématique gratuit et interdit dans les trois mois précédant l’élection (CE, 15 mai 2009, Elections municipales d’Asnières sur Seine, n°322132)
Plus généralement, on constate qu'Internet est devenu un outil indispensable pour les campagnes électorales. Je me rappelle qu'en 2002, la question se posait d'utiliser ou non Internet. Aujourd'hui les candidats ne sont plus du tout dans cette optique, la plupart utilisent internet, c'est rentré dans les mœurs. Je n'imagine pas, même au niveau local, des campagnes ou des enjeux où internet serait absent. Je reprends toujours cet exemple des jeunes, absents des marchés le dimanche matin, mais connectés au Web 24 heures sur 24.
Blog-territorial : A quel moment faut-il considérer un blog de militants ou de sympathisants comme faisant partie des dépenses du candidat?
Kenneth Grand : C’est aujourd’hui le gros problème. Toute la difficulté tient à la qualification de la dépense électorale et à la notion de dépense engagée avec l’accord du candidat. Sans entrer dans un débat trop long, on considère que le travail du militant est bénévole, et qu’il n'a pas à figurer dans le compte de campagne. En revanche, si le candidat veut être très régulier, il lui faudrait calculer la valeur de l'utilisation du matériel informatique et les frais de connexion, etc. qui ont permis au militant de faire son blog de soutien. On parle de sommes modestes. Plus problématique est le cas du militant qui a soutenu un candidat dans le cadre de son travail ou en utilisant les moyens de son entreprise. Cela constitue un avantage en nature d'une personne morale qui doit être évalué, remboursé par le candidat, et imputé au compte de campagne.
Dès lors que le candidat a un doute, il est préférable qu’il intègre une évaluation du coût du blog de soutien à son compte de campagne, quitte à voir cette dépense exclue de son compte de campagne.
Blog-territorial : Il n'existe toujours pas de jurisprudence particulière aux nouveaux outils que sont les réseaux sociaux; néanmoins, quelles sont les choses à ne pas faire ou au contraire les bonnes pratiques à suivre?
Kenneth Grand : Effectivement, il n'y a pas de jurisprudence spécifique aux réseaux sociaux. Pour autant, cela touche à deux domaines : celui de la communication électorale et celui du financement des campagnes. Est-ce que la mise en ligne d'une vidéo ou d'un meeting électoral sur un site de partage, correspondrait à une forme de publicité commerciale? Le juge ne s'est pas prononcé là-dessus.
Il y a deux principes qui doivent prévaloir : le premier, c'est celui de l'égalité d'accès aux réseaux sociaux ou plateformes de partage, le second celui de la démarche de l’électeur qui se connecte volontairement à une page politique ou électorale. A ce jour, l’utilisation des sites communautaires n’est pas censurée par les autorités de contrôle.
Blog-territorial : On a vu récemment des exemples de partis politiques qui lancent leurs propres réseaux sociaux, comme Europe Ecologie dans le cadre des élections européennes. A quelles règles juridiques précises ces partis doivent-ils obéir lors de la création de ces sites?
Kenneth Grand : D’abord un principe d’égalité d’accès au site, ensuite celui de la valorisation des dépenses effectuées en vue d’une élection donnée. La création de ces sites correspond à une dépense qui a été faite par le parti soit en interne, soit par un prestataire. Il suffit de valoriser dans les comptes de campagne cette dépense au prorata de son utilisation électorale et du nombre de candidats à l’avoir utilisé, avec une petite difficulté si la plateforme est commune à plusieurs élections. Ensuite, la question se pose quant à l’accès gratuit à tous les citoyens ou aux seuls candidats et militants d’un parti donné. Dans le cas d’Europe Ecologie, seuls les candidats et militants avaient accès à cette plateforme, son coût doit donc figurer en tant que dépense électorale.
Blog-territorial : Quels sont les risques auxquels s'expose un candidat quand il décide de créer un blog?
Kenneth Grand : Le principal risque est celui du contenu du blog eu égard à la responsabilité éditoriale du candidat, pour les propos qu’il tient, les polémiques qu’il engage ou les commentaires qui sont laissés sur son site. Est-ce qu'on les fait passer ou pas, est-ce qu'on les modère a posteriori, a priori ? Mon conseil serait d’éviter de disperser cette responsabilité mais au contraire de la centraliser avec un administrateur unique et un contrôle quotidien, notamment dans le cas de scrutin de listes où se pose la question de l’administration du site par l’ensemble des colistiers. Enfin, une attention particulière devra être portée au gel du site à la veille du jour de l’élection, car tout élément nouveau dans la polémique électorale, auquel le candidat adverse n’aura pas eu le temps de répondre, pourra être de nature à annuler l’élection.